Jeff Bodart

Jeff Bodart

Presse 2000/2002

LE "ÇA M'ÉNERVE!" de Jeff Bodart

Télémoustique, novembre 2001

Nouvelle rubrique impitoyable du Télémoustique, Jeff s'est prêté au jeu. (note du site)

Sept mois après la sortie de son troisième album solo, "Ça ne me suffit plus", Jeff remonte sur la scène du Bota, avant une tournée hivernale. Pour s'échauffer, rien de tel qu'une bonne grosse crisette...

Tu t'énerves facilement ?
Jeff Bodart - Non. Mais je suis tout sauf d'humeur égale: à l'intérieur, je peux monter dans les tours. De l'extérieur, ça ne se voit pas. Notamment parce que, parfois, je suis tellement sidéré face à la bêtise qu'il me faut un moment pour la digérer. Je me dis aussi que derrière ce monceau de connerie doit bien se cacher un morceau de cœur d'or, tu vois ? C'est mon vieux positivisme. Et puis, ceux qui s'énervent pour un oui pour un non m'énervent. La "saine colère", je la trouve souvent assez ridicule.

Tu ne t'énerves jamais sur ton prochain ?
J.B. - II y a des exceptions. Par exemple, le gars qui appelle le garçon de café "Garçon!", c'est trois claques! Ce n'est pas possible, ça! Un garçon de café, on l'appelle "Monsieur". Ou alors le type qui klaxonne, au feu rouge ou en bas de chez toi pour appeler quelqu'un dans une maison. La pollution sonore m'insupporte. Même le gars qui klaxonne pour me dire bonjour m'énerve! Mes copains le savent, donc à chaque fois qu'ils partent, c'est tût-tût-tûtt.

Ta dernière colère intérieure, c'était quand ?
J.B. - Ce matin, pour un truc anodin. La guitare électrique a été inventée vers 1935 et personne n'a encore fabriqué la corde de guitare incassable! Tu vois le nombre de gens qui jouent de la guitare et le fric qui se fait avec ça? Ça coûte 300 balles la corde! Ce matin, en répétition, j'en ai pété deux. Ça me rend fou de rage! J'en veux au type qui a décidé que les cordes de guitare seraient cassables. Je parie que c'est le même type qui nous fait croire qu'il n'y a pas de moteur à l'eau. Il mérite châtiment !

Dans la consommation, qu'est-ce qui te rend dingue ?
J.B. - Le prix des voyages et des CD. On nous casse les pieds avec un discours lénifiant sur la "rencontre", la "tolérance" entre les gens. Mais alors il faudrait qu'ils puissent bouger facilement, aller se voir. Tu as vu le prix du billet de train? Un aller-retour Charleroi-Anvers, c'est un billet de mille. La SNCB perd de l'argent? Et alors! Ça devrait être un objectif: le train, le métro, le bus gratuits! Un billet d'avion pour l'Asie ou l'Afrique coûte 40.000 balles! L'habitant de la Terre a droit au voyage. C'est comme l'eau: le voyage est un bien de première nécessité. Je suis aussi scandalisé qu'on taxe la culture à 21 %, chez nous. Qu'est- ce qu'on attend pour baisser la TVA sur les CD de 21 à 6 %? D'autres pays européens vont le faire. Chez nous, il n'en est pas question. Ce n'est pas le chanteur qui parle, mais l'amateur de musique. J'achète des paquets de CD. Pendant longtemps, j'en achetais même plus que je n'en vendais !

Quelles publicités t'exaspèrent le plus ?
J.B. - Maurice Noël et ces rapaces qui sucent les gens en leur proposant du crédit qu'ils vont payer toute leur vie. C'est affreux. Avec toute la pub qu'ils font, c'est un "pousse-au-crédit", alors que le pouvoir public fait des campagnes pour désendetter les ménages. C'est vraiment ce que le libéralisme forcené a engendré de pire: des types sans scrupule qui imposent des taux usuraires. C'est horrible. Et ces usuriers existent parce que les banques n'assument pas leur rôle. Les banques et assurances sont devenues uniquement une machine à profit alors que la base du système était un service aux gens. Actuellement, leur seul but est de remplir les poches des actionnaires. Plutôt que d'aider les indépendants et les gens à faire tourner la machine économique, elles amassent des sommes colossales pour les faire fructifier. Et on en arrive à un monde à l'envers: les banques ne savent plus où placer ce fric et l'argent dort. Elles font des milliards de bénéfice par an. Au profit de qui? De quoi? J'ose espérer qu'on vit la fin de ce système, les derniers soubresauts d'un libéralisme vulgaire. C'est une insulte à l'humanité.

Dans la rue, qu'est-ce qui te heurte ?
J.B. - Voir le nom de "Picasso" sur des bagnoles. Picasso, c'esti le patrimoine esthétique de l'humanité. Or, pour les yeux, qu'est-ce qu'il y a de plus polluant que les bagnoles? Les héritiers de Picasso ont vendu son nom à citroën. Ce n'est pas honteux? Je pense que je vais faire des raids la nuit, pour aller gratter le "Picasso" sur toutes ces voitures! Non, c'est vraiment mal. J'exècre aussi le "délit de bagnole". Il y a le délit de faciès, mais aussi le délit de bagnole: les gens qui achètent telle voiture pour avoir l'air de ce qu'ils ont envie d'être, c'est pathétique. Un de mes meilleurs amis roule en BMW. C'est dire si même un type bien peut rouler dans une bagnole de trou de balle !

Qui t'énerve le plus dans le monde ?
J.B. - Les Américains sergents du monde. Ces vieilles badernes galonnées et retranchées dans leur Pentagone, qui nous expliquent comment on doit vivre et surtout acheter, ça va maintenant! (Pause) J'ai du mal à en parler parce que le 10 septembre dernier, je disais à des amis que je rêvais de vivre assez vieux pour connaître le déclin de l'empire américain. Le lendemain, les Twin Towers se prenaient deux avions et des milliers de gens mouraient. Ce déclin, ce n'était pas du tout comme ça que je le voyais, évidemment. Il ne passe ni par le malheur des Américains ni par la terreur. Mais l'obédience américaine sur ce que je dois bouffer et penser, un Etat-sergent qui impose au monde des valeurs libérales extrêmes, assez! Le monde est devenu un supermarché dont le conseil d'administration est américain. Et ces types nous font la leçon comme à des enfants irresponsables. Leur monde à eux a assez prouvé qu'il était irresponsable.

Dans le quotidien, qu'est-ce qui t'insupporte ?
J.B. - Que tout soit devenu urgent! Avant, quand le GSM n'existait pas, tu rentrais chez toi, tu avais un message sur le répondeur et tu rappelais après avoir réfléchi. Maintenant, tu n'as plus de réflexion possible. Tu dois répondre de suite et savoir si Dieu existe. Autre chose: je hais les culottes pour dormir. J'aime dormir cul nu et j'aime bien que la personne qui dort avec moi soit cul nul. En plus, avec une mauvaise culotte mal placée, tu peux vite te blesser! Je n'aime pas les lits pas faits. J'aime entrer dans mon lit quand il est fait. Et ne pas faire mon lit, c'est comme sortir de chez moi la porte battante.

Les gens les plus pompants ?
J.B. - Ceux qui disent qu'ils vont rentrer tôt et qui y arrivent! Comment ils font? Moi, c'est le dernier qui a parlé qui a raison: "Encore une petite? - Bon allez!" Les mecs qui savent dire non m'énervent parce que je n'y arrive pas. J'ai l'impression qu'on m'a enlevé le gène de la volonté. Mais en même temps, l'inaction m'énerve. Quand je passe une journée sans créer, ça me rend fou. Un dimanche peignoir-clapettes-télé, très peu pour moi. Pourtant, je fais toujours tout à la dernière minute. Je suis très productif uniquement quand je suis au pied du mur. Je ne parviens pas à fonctionner autrement. Parfois, je me bafferais !

Tout ça est assez contradictoire...
J.B. - Mais j'aime la contradiction! Et je suis énervé par les gens qui n'acceptent pas qu'on se contredise. La contradiction est un droit, un devoir même, la base de la réflexion. Se contredire, c'est chercher. Et on n'a rien trouvé de mieux que le côté "thèse-antithèse-synthèse" pour faire le tour d'une question sans en faire vraiment le tour! Tu me suis? En fait, la contradiction, c'est accepter qu'on cherche et accepter de ne jamais trouver. C'est de l'humilité, en fait. Le contraire du manichéisme. L'unifacette m'exaspère. Moi je peux te dire blanc aujourd'hui et noir demain. Et je ne serai pas un escroc, parce que je le dirai avec la même sincérité. Il y a des gens que ça perturbe.

En Belgique, qu'est-ce qui t'énerve ?
J.B. - La royauté. Je suis absolument contre les privilèges liés à l'hérédité, au népotisme, au pouvoir de droit quasi divin. Je trouve ça obsolète, incongru. De la part d'un peuple, se réfugier derrière un système monarchique est irresponsable et lâche. Alors tout le falbala actuel autour de Mathilde ou Elisabeth, ça me rend fou. Si ce n'était que du folklore, passe encore. Mais ce n'est pas que du folklore. Cet écran de fumée qu'est la famille royale facilite le boulot des gens qui tirent des ficelles impunément. Ça occulte les problèmes. La royauté n'a pas lieu d'être. Le roi, c'est saint Nicolas! Un moment donné, tu dis à ton gamin que saint Nicolas n'existe pas et que pour avoir des Sugus dans la cheminée, il y a un système !

Ton troisième album solo est titré "Ça ne me suffit plus". Ce qui ne te suffit plus, c'est la perception qu'on a de "Jeff le Sympa", "Jeff le Positiviste"?
J.B. - Les petits tiroirs m'énervent: c'est quoi ta musique, entre Machin et Machin-Chose? L'étiquetage. Je comprends que ce soit inhérent à la communication. Mais parfois le tiroir te coince. En plus, quand ton tiroirs'appelle "Casquette", tu vois? Dans les métiers artistiques, le but du jeu est de prendre des risques, d'évoluer, pas d'être coincé dans un tiroir. S'il y a un truc que j'ai essayé de faire sur mon dernier disque et dans ce nouveau spectacle, c'est éclairer d'autres facettes. Benoît Poelvoorde dit toujours: "Jeff, c'est le meilleur ami de l'homme. "Ça me va. Mais je ne suis évidemment pas que ça.

La nostalgie te crispe ?
J.B. - Au plus haut point. La nostalgie, ça ne génère que du regret. A 38 ans, je ne veux pas tirer des bilans! Tirer des bilans, c'est arrêter de vivre. Dans le même ordre d'idées, le "devoir accompli" m'énerve. Comme les questions qui commencent par "Au fond...". Au fond, ça fait combien de temps que vous chantez? La maturité m'énerve. Ce chanteur est arrivé à maturité. Ça veut dire quoi? Responsable? Arrivé? Posé? Moi j'espère rester immature toute ma vie, rester débutant. Je déteste aussi mon anniversaire. Tous les 30 septembre, je prône la suspension temporelle pendant 24 heures pour ne pas devoir subir mon anniversaire. Les fêtes qui marquent le passage du temps m'énervent: anniversaire et Nouvel An, ça me fait pareil. Et même le lendemain, il y a toujours un con pour te dire: "T'as un an déplus, maintenant!". Non je n'ai pas un an de plus, j'ai un jour de plus! C'est idiot, je sais. Ça fait vieille diva qui a peur de vieillir. Mais bon.

Quelle expression te fait grimper au mur ?
J.B. - "II n'y a pas de fumée sans feu. "Je n'aime pas les proverbes, mais celui-là bafoue le principe de la présomption d'innocence. Il est très ancré dans le bon sens populaire, mais ici le bon sens populaire devient de la connerie populaire. Parce que ce proverbe est dangereux.

Sur qui t'énerverais-tu volontiers, là, tout de suite ?
J.B. - Sur les présentateurs de CNN, qui sont des va-t-en guerre de la pire espèce. Bush, c'est déjà la lie, mais alors eux! Il ont non seulement envie que ça clashe, mais que ça clashe exactement à l'heure où ils seront sur antenne. Et ce qui me tue, c'e; que nos télés relaient aveuglé ment CNN, comme si c'était la Bible. Comment c'est possible' Comment c'est possible?! Eux, c'est quatorze claques à la seconde! Jeff Bodart est en concert unique au Botanique, à Bruxelles, ce jeudi 15 novembre. La tournée est prévue en février et mars 2002, avec une première date Charleroi.

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